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Migrations : sortir de la peur, entrer dans l’espoir


Quatre questions à Jérôme Vignon, ancien responsable de la cellule de prospective de la Commission européenne, auteur du rapport « Pour une politique européenne de l’asile, des migrations et de la mobilité ».

Pourquoi publier un rapport sur la politique migratoire européenne ? N’est-ce pas emboîter le pas aux populistes qui ont fait de la « crise des migrants » leur cheval de bataille ?

Il ne faut pas laisser le champ libre à ceux qui exploitent les peurs. Experts en manipulation, ils savent que la peur de l’étranger est un levier du nationalisme et du repli sur soi. Déconstruire la peur requiert au contraire de regarder en face les réalités pour tracer un chemin d’espoir raisonnable.

Qu’entendez-vous par « regarder en face les réalités des migrations » ?

Regarder en face la question migratoire pour les Européens, c’est d’abord replacer la crise récente qui a vu plus d’un million de personnes franchir illégalement les frontières en 2015-2016 dans une vue de long terme. Elle apparaît alors exceptionnelle. En travaillant avec les démographes, on constate que les annonces relatives à une future « ruée » des jeunes Africains relèvent d’une généralisation complètement abusive.

Mais on apprend aussi que le développement qu’il faut vouloir pour la paix en Afrique ne tarira pas le besoin d’émigration. Il faut s’attendre au contraire à ce que les progrès du développement accroissent les taux d’émigration et particulièrement les besoins de mobilité internationale, notamment vers l’Europe. Tout cela peut être prévu et organisé. Mais regarder en face les migrations, c’est aussi regarder les migrants. Il s’agit d’abord d’accueillir et de travailler avec des personnes.

Les négociations immédiates sur l’asile ne sont-elles pas bloquées au Conseil européen avec les drames que l’on voit pour le débarquement des personnes secourues en mer ?

Les blocages actuels sont le fruit d’un déni ancien de solidarité dont le nœud se trouve dans ce que l’on nomme le « règlement de Dublin ». Ce règlement attribue une responsabilité principale dans l’instruction des demandes d’asile aux pays situés aux frontières extérieures de l’Union. Les réformes envisagées par la Commission ne corrigent ce défaut qu’à la marge ou temporairement.

Notre rapport estime qu’il faut au contraire trancher ce nœud gordien, ce qui suppose qu’un groupe de pays, qui ne sont pas en première ligne, dont le nôtre, acceptent désormais un partage a priori équitable de la charge. Une telle initiative aurait des effets positifs en chaîne : elle conduirait à une harmonisation des modes de fonctionnement des agences nationales de l’asile ; elle permettrait de faire un saut majeur dans l’instauration d’un corps européen efficace de gardes-frontières ; elle ouvrirait enfin la voie à une politique européenne effective pour l’immigration légale de travail.

Pourquoi est-ce si important de doter l’Union d’une politique commune d’immigration légale pour le travail ?

Tenant compte du vieillissement démographique, les besoins nets d’immigration de l’Union européenne sont au minimum d’un million de personnes par an. En organisant ces flux à l’échelle européenne en partenariat avec les pays partenaires, l’Union pourrait avoir une influence bien supérieure à celle de ses États membres pris séparément : d’abord pour décourager les réseaux de passeurs qui prospèrent du fait des restrictions affectant l’immigration légale ; ensuite pour influencer les stratégies de développement des pays d’origine en vue d’y encourager la mise en place de formations professionnelles et de qualifications intermédiaires.

La stratégie européenne de coopération avec ses partenaires, notamment africains, serait alors rendue beaucoup plus lisible. Il est temps de changer la donne.

Propos recueillis par Jean-Pierre Bobichon

Pour en savoir plus

www.institutdelors.eu

M. Jérôme Vignon.
Institut J. Delors